638 - Lettre de Vincent van Gogh à Theo van Gogh - Auvers-sur-Oise le 4 juin 1890

Lettre (638) - De Vincent van Gogh à Theodore van Gogh

Auvers-sur-Oise - (le mercredi 4 juin 1890)


Mon cher Theo,

(4 Juin.)

Déjà depuis plusieurs jours j’aurais désiré t’écrire à tête reposée, mais ai été absorbé par le travail. Ce matin arrive ta lettre, de laquelle je te remercie et du billet de 50 fr. qu’elle contenait. Oui je crois que pour bien des choses il serait bien que nous fusions encore ensemble tous ici pour une huitaine de tes vacances, si plus longtemps n’est pas possible. Je pense souvent à toi, à Jo et au petit, et je vois que les enfants ici au grand air sain ont l’air de bien se porter. Et pourtant c’est déjà ici aussi difficile assez de les élever, à plus forte raison est-ce plus ou moins terrible à de certains moments de les garder sains et saufs à Paris dans un quatrième étage.
Mais enfin il faut prendre les choses comme elles sont. M. Gachet dit qu’il faut que père et mère se nourrissent bien naturellement, il parle de prendre 2 litres de bière par jour, etc. dans ces mesures-là. Mais tu feras certes avec plaisir plus ample connaissance avec lui et il y compte déjà, en parle toutes les fois que je le vois, que vous tous viendrez. Il me paraît certes aussi malade et ahuri que toi ou moi, et il est plus âgé et il a perdu il y a quelques années sa femme, mais il est très médecin et son métier et sa foi le tiennent pourtant. Nous sommes déjà très amis et par hasard il a connu encore Brias de Montpellier et a les mêmes idées sur lui que j’ai, que c’est quelqu’un d’important dans l’histoire de l’art moderne. Je travaille à son portrait, la tête avec une casquette blanche, très blonde, très claire, les mains aussi à carnation claire, un frac bleu et un fond bleu cobalt, appuyé sur une table rouge, sur laquelle un livre jaune et une plante de digitale à fleurs pourpres.
Cela est dans le même sentiment que le portrait de moi, que j’ai pris lorsque je suis parti pour ici.
M. Gachet est absolument fanatique pour ce portrait et veut que j’en fasse un pour lui, si je peux, absolument comme cela, ce que je désire faire aussi. Il est maintenant aussi arrivé à comprendre le dernier portrait d’Arlésienne, dont tu en as un en rose ; il revient lorsqu’il vient voir les études tout le temps sur ces deux portraits et il les admet en plein, mais en plein, tels qu’ils sont.
J’espère t’envoyer un portrait de lui bientôt. Puis j’ai peint chez lui deux études, que je lui ai données semaine passée, un aloès avec des soucis et des cyprès, puis dimanche dernier des roses blanches, de la vigne et une figure blanche là-dedans.
Je ferai très probablement aussi le portrait de sa fille qui a 19 ans, et avec laquelle je me figure aisément que Jo sera vite amies.
Alors je m’en fais une fête de faire les portraits de vous tous en plein air : le tien, celui de Jo et celui du petit.
J’ai encore rien trouvé d’intéressant en fait d’atelier possible, et il faudra pourtant prendre une chambre pour y mettre les toiles qui sont de trop chez toi et qui sont chez Tanguy. Car il faut encore beaucoup y retoucher. Mais enfin je vis au jour le jour - il fait si beau. Et la santé va bien, je me couche à 9 heures, mais me lève à 5 heures la plupart du temps. J’ai espérance qu’il ne sera pas désagréable de se retrouver après une longue absence. Et j’espère aussi que cela continuera que je me sens bien plus sûr de mon pinceau qu’avant d’aller à Arles. Et M. Gachet dit, qu’il trouverait fort improbable que cela revienne, et que cela va tout à fait bien. Mais lui aussi se plaint amèrement de l’état de choses partout dans les villages où il est venu le moindre étranger, que la vie y devient si horriblement chère. Il dit qu’il s’étonne que les gens où je suis me logent et nourrissent pour cela et que j’ai encore relativement à d’autres qui sont venus et qu’il a connus, de la chance. Que si tu viens et Jo et le petit, vous ne pourrez faire mieux que de loger à cette même auberge. Maintenant rien, absolument rien ne nous retient ici, que Gachet - mais celui-là restera un ami à ce que je présumerais. Je sens que chez lui je peux faire un tableau pas trop mal toutes les fois que j’y vais et il continuera bien de m’inviter à dîner tous les dimanches ou lundis.
Mais jusqu’à présent, si c’est, agréable d’y faire un tableau, c’est une corvée pour moi d’y dîner et déjeuner, car l’excellent homme se donne du mal pour faire des dîners où il y a 4 ou 5 plats, ce qui est abominable pour lui comme pour moi - car il n’a certes pas l’estomac fort. Ce qui m’a un peu retenu d’y trouver à redire, c’est que je vois que lui cela lui rappelle les jours d’autrefois où l’on faisait des dîners de famille, qu’enfin nous connaissons bien aussi. Mais l’idée moderne de manger un - tout au plus deux - plats est pourtant certes un progrès et un loin retour à l’antiquité vraie. Enfin le père Gachet est beaucoup, mais beaucoup comme toi et moi. J’ai lu avec plaisir dans ta lettre que M. Peyron a demandé de mes nouvelles en t’écrivant, je vais lui écrire que cela va bien ce soir même, car il était très bon pour moi et je ne l’oublierai certes pas. Desmoulins, celui qui a des tableaux japonais au Champ de Mars, est revenu ici et j’espère bien le rencontrer.
Qu’est-ce qu’a dit Gauguin du dernier portrait d’Arlésienne, qui est fait sur son dessin ? Tu finiras par voir, je croirais, que cela est une des choses les moins mauvaises que j’ai faites. Gachet a un Guillaumin, femme nue sur un lit que je trouve fort belle, il a aussi un très ancien portrait de Guillaumin par lui, très différent du nôtre, noir mais intéressant.
Mais sa maison tu verras c’est plein, plein, comme un marchand d’antiquités, de choses pas toujours intéressantes. Mais dans tout cela il y a ceci de bon que pour arranger des fleurs ou des natures mortes, il y aurait toujours de quoi. J’ai fait ces études pour lui, pour lui montrer, que si ce n’est pas un cas où on lui payerait en argent, nous le dédommagerons pourtant toujours de ce qu’il ferait pour nous.
Connais-tu une eau-forte de Bracquemond, le portrait de comte ? c’est un chef-d’œuvre.
Il me faudrait aussitôt que possible 12 tubes blanc de zinc de Tasset et 2 tubes moyen laque géranium.
Puis aussitôt que tu pourrais me les envoyer, je tiendrais absolu-ment à copier encore une fois toutes les Etudes au fusain de Bargue, tu sais les figures nues.
Je peux les dessiner relativement vite, mettons dans un mois, les 60 feuilles qu’il y a, donc tu enverrais un exemplaire en commission, je ferais en sorte de ne pas les tâcher ou salir. Si je négligeais d’étudier encore les proportions et le nu, je me trouverais mal pris plus tard. Que cela ne te paraîsse pas absurde ou inutile. Gachet m’a dit aussi, que si je voulais lui faire un grand plaisir, il désirerait que je refasse pour lui la copie de la Piéta de Delacroix, qu’il a regardé très longtemps.
Dans la suite probablement il me donnera un coup de main pour les modèles ; je sens qu’il nous comprendra tout à fait et qu’il travaillera avec toi et moi sans arrière-pensée, pour l’amour de l’art pour l’art, de toute son intelligence. Et il me fera peut-être bien avoir des portraits. Or pour avoir des clients pour les portraits, il faut pouvoir en montrer différents que l’on a fait. Voilà tout ce que je vois de possibilité de placer quelque chose. Mais pourtant, pourtant de certaines toiles un jour trouveront des amateurs. Je trouve seulement que tout le bruit qu’ont fait les grands prix payés dans les derniers temps pour des Millets, etc., ont encore empiré l’état de choses, quant à la chance qu’on a rien que de rentrer dans ses frais de peinture.
C’est à avoir le vertige. Donc qu’y penserons-nous, cela abrutirait. Mieux vaut encore peut-être chercher un peu d’amitié et vivre au jour le jour. J’espère que le petit continuera à aller bien et vous deux également, jusqu’au revoir, à bientôt, je vous serre bien la main.

Vincent.


Autre référence : Vincent van Gogh The Letters : (877)


Localisation : Amsterdam, Van Gogh Museum, inv. no. b687 V/1962


Source : Vincent van Gogh. Brieven aan zijn Broeder. Uitgegeven en toegelicht door zijn schoonzuster J. van Gogh-Bonger., Amsterdam 1914


Johanna Gezina van Gogh, née Bonger

(Amsterdam, 4 octobre 1862 - 2 septembre 1925, Laren, Hollande), est l’épouse de Théodore van Gogh et la belle-sœur de Vincent van Gogh.

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Lettre N°638 de Vincent van Gogh à Theo, d’Auvers-sur-Oise du mercredi 4 juin 1890…


Voir en ligne : Vincent van Gogh - The Letters

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